L’alcoolisme féminin : briser le silence
Sujet profondément sensible, souvent évité tant il ravive des blessures enfouies, l’alcoolisme féminin est enfin placé au cœur du récit dans Des Jours Meilleurs, premier long métrage de la réalisatrice Elsa Bennett. Abordé avec justesse et humanité, ce thème rarement exploré est porté par un casting remarquable : Valérie Bonneton, Sabrina Ouazani, Michèle Laroque et Clovis Cornillac. Nous avons rencontré la femme derrière ce projet audacieux, Elsa Bennett une cinéaste déterminée à faire entendre celles qu’on écoute trop peu.
R.B: Elsa, je poserai la première question qui m’a traversé l’esprit après avoir regardé (trois fois) le film: qu’est qui vous a amené à aborder l’alcoolisme féminin si tabou ?
E.B: C’est un sujet qui a impacté directement mon enfance, ma vie. Quelqu’un de très proche. Ce devait être le sujet de mon premier long métrage. C’était très important, thérapeutique même, d’en parler. Pour mon co-réalisateur Hippolyte Dard également. Malgré la libération de la parole des femmes, c’est encore un point très sensible. C’est important de bousculer les tabous et de lutter du côté des femmes, toujours car notre place est sans cesse remise en question. Suzanne le dit très bien dans le film: “tu ne sais pas ce que c’est le regard des gens sur une femme qui boit.” Aujourd’hui, il faut réussir à aider ces femmes pour qu’elles puissent se débarrasser de la honte, de la culpabilité, sortir du silence, accepter les mains tendues et être aidées.
R.B: Comment s’entoure-t-on pour écrire le film et s’assurer d’être juste dans le scénario?
E.B: C’est en effet très important puisque je ne souhaitais pas en faire une fiction sur ma vie, je tenais à mettre mon expérience à distance. Je savais que je mettais les pieds dans un univers médical, par rapport aux médecins, aux addictologues. Il est donc essentiel de faire attention à ce que l’on dit et à ce que l’on diffuse. Je peux prendre l’exemple d’un médicament dans le film qui est sujet à division dans le corps médical sur la question de son efficacité dans les centres pendant les cures. Il a fallu échanger avec de nombreux médecins, addictologues et croiser les informations, ce qui a permis de choisir le bon médicament. Chaque point, chaque détail est un sujet. Ensuite la rencontre avec Laurence Cottet (patiente expert, auteur de “Non, j’ai arrêté”), qui devient un coup de foudre amical, très pointue sur le sujet. Sa lecture du scénario a été très précieuse. Elle nous a ouvert les portes des centres permettant aux comédiens de les découvrir, en France et en Belgique. C’était essentiel, car l’idée que l’on se fait des centres et du parcours de soin est très loin de la réalité. C’est crucial voir à quel point les patients y sont physiquement à bout. Le regard d’un patient-expert, c’est une aide essentielle pour les gens qui entrent en parcours de soin, évidemment les médecins addictologues et psys sont importants, mais faire face à des gens qui comptent des années d’abstinence et qui comprennent ce que les malades traversent, là se trouve la force du collectif. Au même titre que les Alcooliques Anonymes dont l’action ne repose pas sur le médical mais sur l’expérience. Les médecins eux-mêmes en témoignent : au delà de la médicamentation et des groupes de parole, l’essentiel reste de permettre à un individu de se reconnecter à l’autre et au groupe. C’est ce que nous avons essayé de raconter dans ce film, comment petit à petit chacune sort de sa bulle. Le premier pas dans la guérison, c’est la connexion à l’autre.
R.B: Le plus grand défi se trouve-t-il dans l’écriture ou dans l’intensité des scènes à tourner ?
E.B: Le plus complexe reste l’écriture et surtout la recherche du ton juste. Maintenir une émotion en y ajoutant du sourire afin de pouvoir toucher un public plus large. Le rire, c’est comme une bulle d’oxygène, il permet de garder une atmosphère festive. Il n’était pas simple de préparer ce sujet, de faire un choix des causes quand 70% des patientes ont vécu des violences sexuelles. Mais je ne souhaitais pas prendre le risque de réduire le problème de l’alcoolisme féminin aux seules violences sexuelles. Le personnage de Suzanne, famille monoparentale, avec une grande charge mentale, sa solitude de mère et l’aspect anti-dépresseur de l’alcool est bien plus facile à comprendre par le grand public.
R.B: On boit quand on est heureux et quand on est mal?
E.B: On boit quand on est mal, oui. Mais quand on est heureux je ne sais pas. Je me demande toujours ce que ça cache. Est ce que ce n’est pas juste une manière de se désinhiber, c’est difficile d’affronter le groupe, même quand c’est un groupe d’amis de longue date. Le lien social reste quelque chose de complexe. Réussir à être accepté, aimé, être drôle…est ce que ce n’est pas plutôt un manque de confiance en soi ? Et toutes les classes sociales sont concernées.
R.B: In fine, quel est le message que vous souhaitez délivrer?
E.B: Je ne souhaitais pas trahir la parole de ces femmes qui nous ont ouvert leur coeur et qui nous ont fait confiance. La première chose que j’ai demandé, c’est que ce film soit montré dans les centres pour leur donner de l’espoir. Que trois actrices, Michèle Laroque, Sabrina Ouazani et Valérie Bonneton, endossent leur rôle est une représentation essentielle.
R.B: Pour terminer, peut-on évoquer votre plus beau souvenir de cette aventure du film ?
E.B: Il y en a eu plusieurs qui ont validé des étapes ! De l’appel de ma productrice, par exemple, qui annonce qu’on part à Cannes parce qu’on a des financiers sur le film après cinq ans d’écriture pendant lesquels on ne savait même pas si le film pourrait exister un jour. Quand le casting a été bouclé et que les dates de tournage concordaient…jusqu’au jour où j’ai pleuré en post prod, quand le film est en boite…Lâcher le film et le présenter, c’est sortir de sa salle de montage, à la fois magique et angoissant. Evidemment la première mondiale à l’Alpes d’Huez avec les pros et les gens du coin, qu’on retrouve en larmes au générique et qui témoignent de leur vie. On se prend dans les bras, on ne se connait pas mais on partage. C’est une somme de moments incroyables émouvants.
R.B: Ce virage en long métrage et cinéma sur un sujet de société annonce-t-il une évolution dans votre carrière ?
E.B: Oui, c’est vrai. J’ai envie de faire des films humains, avec un sujet à défendre. Je me suis battue pour que ce ne soit pas une pure comédie, les gens semblent touchés donc ça me rassure. J’ai besoin de faire des films qui touchent l’humanité à un endroit.




